Tout ça n'est pas vraiment de l'actualité la plus fraîche, mais j'ai relu récemment Mémoires d'un jeune homme dérangé, le premier roman de Frédéric Beigbeder (bon j'avoue, paru en 1990, CA VA). Comme la première fois que je l'ai dévoré, et peut-être plus encore d'ailleurs, je me suis pris une énorme claque. Beigbeder est né en 1965, il avait donc vingt-cinq ans quand il a achevé le manuscrit. Et quand on le lit, ça force l'admiration.
Tout y est, à commencer par cette vision acerbe, sarcastique et ironique de soi (il n'y a qu'à voir la description que fait de lui-même le fameux Marc Marronnier), mais aussi des relations, qu'elles soient amicales ou amoureuses.
Marc Marronnier est lâche, égoïste, m'as-tu-vu et décadent. Il se balade dans la vie comme un gosse de riche sans but qui trouve malgré tout de quoi s'en sortir et assurer son train de vie. Il enchaîne avec indifférence les relations sans intérêt en se demandant qui sera le premier à prendre la peine de rompre. Marc Marronnier est exécrable mais attachant. Marc Marronnier est tout le monde à la fois.
Dans ses confusions d'ivrogne, il a d'incroyables moments de lucidité, énonce des vérités accablantes et touchantes sans avoir l'air d'y croire lui-même, mais où je me reconnaîs immanquablement. Certes je ne vais pas plus régulièrement à des bals costumés XVIII° à Vienne que je ne danse la valse à Venise, mais ceci mis à part, l'incapacité du héros (ou plutôt de "l'anti-héros moderne" comme on dit sur France Culture) à être naturel, à se poser pour écouter ceux qui en valent la peine, à se retirer des mondanités et de ce train-train de représentation pour vivre réellement, tous ces traits me parlent et par certains aspects, je ne peux m'empêcher de m'exclamer dans mes pensées "putain, ce mec c'est moi".
Marc est odieux avec Anne, parce que c'est la seule qui compte et qu'une dose trop importante de ce qu'il voit comme un romantisme coulant, un "sentimentalisme bidon" (qui n'est en réalité qu'une relation relativement courante) le débecte. Il ne sait pas être simplement heureux, peut-être parce qu'avoir de quoi se plaindre et pouvoir déverser un limon de jérémiades dans l'oreille d'un autre, c'est rudement agréable. Pourtant, celle-la, même s'il s'en défend, il ne serait pas contre le fait qu'elle lui coure après dans l'une de ces grandes scènes dramatiques, tu sais, avec grosse averse en option et ruines antiques en arrière-plan. Et justement, remise en question : quand le fêtard invétéré et imbuvable rencontre Anne, c'est une routine bien installée qui s'écroule. Parce qu'Anne est enfin celle qui les réunit toutes (l'amie d'enfance - celle qui est naturelle même au réveil -, la petite fille consciencieuse, la jeune femme coquette, l'amante), Marc Marronnier va laisser tomber ses préjugés, devenir un homme rangé, accepter Anne à ses côtés, et cette fois, les petits mots doux oubliés dans les poches de ses vestes, le brossage des dents avant d'aller au lit et l'odeur des croissants au matin ne lui feront plus peur.
Frédéric Beigbeder - Mémoires d'un jeune homme dérangé (réédité chez La table Ronde).