Jusqu’au
7 avril prochain, Martial Cherrier décrète L’état
d’urgence à la MEP, titre de sa dernière série mais aussi de cette
exposition qui retrace chronologiquement le parcours d’un photographe
culturiste et cultivé. Martial Cherrier s’y livre à corps perdu, placardant aux
murs un véritable journal intime illustré de photographies d’un corps accort
devenu corps à corps.
Entre
le Body Fluid et l’Etat d’urgence, le corps de l’artiste,
tant aimé, choyé, bichonné est en effet devenu bien lourd à porter. La masse
musculaire sans doute, me direz-vous. A travers son parcours de culturiste,
l’artiste a fait œuvre de son corps. Comme un sculpteur qui aurait préféré
l’aiguille à la mirette, il a lentement transformé l’argile molle originelle en
véritable marbre grec, comme le rappelle ce cliché acéphale en plan américain
de la série Body Fluid qui rappelle
le corps d’athlète d’un discobole antique. C’est une véritable spirale qui
semble se dérouler sous nos yeux : il faut toujours plus de force à ce
ventre plissé (« La Peau », in Body
Fluid), à ces jambes déjà parcourues de veines. En plus de l’entraînement
qui maltraite le corps (Ceinture de force),
il y a l’intraveineuse et le régime. Les pilules du muscle se transforment en
pilules du bonheur ; stéroïdes anabolisants, créatine et autre mélatonine
deviennent de véritables amis. On les remercie de nous faire devenir tel qu’on
voulait vraiment être, à tel point que l’on finit par leur donner de petits
surnoms affectueux et ambigus (Méla-Gana-DaVinci).
C’est une recréation quasi démiurgique de son corps que réalise le body-builder,
devenant par là un musclé fragile.
Succède
ainsi à cette frénésie de la transformation une forme de culpabilité. Food or Drugs met alors en scène le
corps de l’artiste en filigrane des boîtes de ces compléments alimentaires
magiques et addictifs, effacé par la consommation de ces substances. Son image
souriante aux couleurs criardes est floutée par un agrandissement excessif,
montrant toute l’illusion des clichés publicitaires sur papier glacé. Plus loin
se déroule une étape supplémentaire. A gauche, dans une douceur matérialisée
par l’orientation en paysage se trouve Just
Do Eat (1999), où s’illustre sur la photographie médiane l’ingestion rendue
obligatoire, accentuée par le choix du noir et blanc, entourée par les clichés
en couleur d’une bouche d’attente à gauche et d’une autre presque soulagée à
droite. A côté, c’est le renversement : le paysage devient portrait, et
c’est une véritable descente aux enfers que vivent les trois bouches,
superposées de haut en bas dans un terrible Mea
Culpa (1999) qui suit de près la consommation du produit. La bouche médiane
est cette fois bien en couleur, pincée jusqu’à barder la lèvre inférieure d’un
pli profond, cicatrice de l’autoflagellation. Mea culpa, mea maxima culpa.
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Just Do Eat |
Car
sous couvert de virilité musculeuse et savamment contrôlée, c’est une fragilité
dramatique qui s’illustre chez Cherrier. Les pilules, adorées et abhorrées,
petites douceurs au goût de pâte d’amande et au parfum mortifère (Mask Therapy 2012) ne peuvent rien
contre le poids du temps (Hérédité,
2011). La salle de sport est devenue, de par les deux croix rouge et noire et
la vidéo Drugs qui se déroule en leur
centre, une illustration des salles de shoot si controversées. Mens sana in corpore sano. Le sport,
jadis loisir, devient instrument de la Passion du culturiste qui se trouve
finalement suspendu par des crochets (Etat
d’urgence, 2013) tel un bœuf
écorché rembrandtesque.
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Butterfly |
Comme l’holométabole, l’artiste a connu sa transformation
(Butterfly), démolissant les parois
de sa chrysalide à coup de fonte, mais finalement aussi fragile que l’insecte.
Les veines qui injectent ces pièces de viande suspendues, dont le reflet est
sans cesse renvoyé par les miroirs, semblent pareilles à celles des feuilles
mortes sur le point de tomber en miettes. Ne restent finalement de la gloire de
Martial Cherrier, champion de France de culturisme 1997, que des images
passées, portraits en forme de fresques pompéiennes craquelées (dont on aurait
aimé connaître les secrets du tirage, bien gardés par une absence d’indications
techniques sur les cartels !) d’un homme souriant au corps parfait.
Approchez-vous : l’instrument de sa solide virilité est recouvert d’un
tissu rose qui formerait presque un papillon, ultime illustration d’une
fragilité qui semble presque s’être accentuée au fil de la transformation de
l’homme en colosse, dont les pieds ont pourtant toujours cette texture d’argile
molle.
Maison Européenne de la Photographie,
5, rue de Fourcy, Paris (Métro Saint-Paul ou Pont-Marie)
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