vendredi 5 avril 2013

Martial Cherrier, ou la conjuration des phalènes.





        Jusqu’au 7 avril prochain, Martial Cherrier décrète L’état d’urgence à la MEP, titre de sa dernière série mais aussi de cette exposition qui retrace chronologiquement le parcours d’un photographe culturiste et cultivé. Martial Cherrier s’y livre à corps perdu, placardant aux murs un véritable journal intime illustré de photographies d’un corps accort devenu corps à corps.









Entre le Body Fluid et l’Etat d’urgence, le corps de l’artiste, tant aimé, choyé, bichonné est en effet devenu bien lourd à porter. La masse musculaire sans doute, me direz-vous. A travers son parcours de culturiste, l’artiste a fait œuvre de son corps. Comme un sculpteur qui aurait préféré l’aiguille à la mirette, il a lentement transformé l’argile molle originelle en véritable marbre grec, comme le rappelle ce cliché acéphale en plan américain de la série Body Fluid qui rappelle le corps d’athlète d’un discobole antique. C’est une véritable spirale qui semble se dérouler sous nos yeux : il faut toujours plus de force à ce ventre plissé (« La Peau », in Body Fluid), à ces jambes déjà parcourues de veines. En plus de l’entraînement qui maltraite le corps (Ceinture de force), il y a l’intraveineuse et le régime. Les pilules du muscle se transforment en pilules du bonheur ; stéroïdes anabolisants, créatine et autre mélatonine deviennent de véritables amis. On les remercie de nous faire devenir tel qu’on voulait vraiment être, à tel point que l’on finit par leur donner de petits surnoms affectueux et ambigus (Méla-Gana-DaVinci). C’est une recréation quasi démiurgique de son corps que réalise le body-builder, devenant par là un musclé fragile.

La Peau

Succède ainsi à cette frénésie de la transformation une forme de culpabilité. Food or Drugs met alors en scène le corps de l’artiste en filigrane des boîtes de ces compléments alimentaires magiques et addictifs, effacé par la consommation de ces substances. Son image souriante aux couleurs criardes est floutée par un agrandissement excessif, montrant toute l’illusion des clichés publicitaires sur papier glacé. Plus loin se déroule une étape supplémentaire. A gauche, dans une douceur matérialisée par l’orientation en paysage se trouve Just Do Eat (1999), où s’illustre sur la photographie médiane l’ingestion rendue obligatoire, accentuée par le choix du noir et blanc, entourée par les clichés en couleur d’une bouche d’attente à gauche et d’une autre presque soulagée à droite. A côté, c’est le renversement : le paysage devient portrait, et c’est une véritable descente aux enfers que vivent les trois bouches, superposées de haut en bas dans un terrible Mea Culpa (1999) qui suit de près la consommation du produit. La bouche médiane est cette fois bien en couleur, pincée jusqu’à barder la lèvre inférieure d’un pli profond, cicatrice de l’autoflagellation. Mea culpa, mea maxima culpa.

Just Do Eat

Car sous couvert de virilité musculeuse et savamment contrôlée, c’est une fragilité dramatique qui s’illustre chez Cherrier. Les pilules, adorées et abhorrées, petites douceurs au goût de pâte d’amande et au parfum mortifère (Mask Therapy 2012) ne peuvent rien contre le poids du temps (Hérédité, 2011). La salle de sport est devenue, de par les deux croix rouge et noire et la vidéo Drugs qui se déroule en leur centre, une illustration des salles de shoot si controversées. Mens sana in corpore sano. Le sport, jadis loisir, devient instrument de la Passion du culturiste qui se trouve finalement suspendu par des crochets (Etat d’urgence, 2013) tel un bœuf écorché rembrandtesque. 

Butterfly

Comme l’holométabole, l’artiste a connu sa transformation (Butterfly), démolissant les parois de sa chrysalide à coup de fonte, mais finalement aussi fragile que l’insecte. Les veines qui injectent ces pièces de viande suspendues, dont le reflet est sans cesse renvoyé par les miroirs, semblent pareilles à celles des feuilles mortes sur le point de tomber en miettes. Ne restent finalement de la gloire de Martial Cherrier, champion de France de culturisme 1997, que des images passées, portraits en forme de fresques pompéiennes craquelées (dont on aurait aimé connaître les secrets du tirage, bien gardés par une absence d’indications techniques sur les cartels !) d’un homme souriant au corps parfait. Approchez-vous : l’instrument de sa solide virilité est recouvert d’un tissu rose qui formerait presque un papillon, ultime illustration d’une fragilité qui semble presque s’être accentuée au fil de la transformation de l’homme en colosse, dont les pieds ont pourtant toujours cette texture d’argile molle.

Maison Européenne de la Photographie, 
5, rue de Fourcy, Paris (Métro Saint-Paul ou Pont-Marie)

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